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Les chasseurs de têtes s’intéressent aux juristes
29/02 | Par Laurence Neuer
Judiciarisation du monde des affaires oblige, les entreprises et les cabinets d’avocats cherchent leurs perles rares. Décryptage par des spécialistes de l’approche directe.Les cabinets spécialisés dans la « chasse » sur le marché tendu du recrutement juridique sont aussi nombreux que sont rares les perles convoitées. Issus pour la plupart de directions juridiques et du barreau d’affaires, leurs experts en relations humaines ont chacun leur « marché », plus ou moins haut de gamme, et chacun leur recette pour dégoter le mouton à cinq pattes.« Il faut savoir identifier les bons profils et les convaincre que le nouveau poste est une bonne opportunité », explique Caroline Oulié, associée du cabinet de recrutement Boyden et ancienne avocate. « La particularité du directeur juridique, comparé à un autre type de fonction dite « support », est qu’il reste longtemps à son poste. Il n’est pas rare qu’il occupe sa fonction depuis une dizaine d’années. La matière juridique s’inscrit en effet dans la durée. Ce sont des cycles longs. Le directeur juridique est un peu le gardien du temple et la mémoire de l’entreprise. »
Un quart au comex. Le rôle de cet acteur clef de l’entreprise a beaucoup évolué ces dernières années. « Le candidat doit être opérationnel, à l’écoute des clients internes et à même de proposer des solutions », résume Emeric Lepoutre, qui a fondé en 2015 le cabinet Emeric Lepoutre & Partners, dédié au recrutement de dirigeants, d’administrateurs et de professionnels du monde juridique, après avoir dirigé des cabinets internationaux et exercé dix ans comme avocat. « Avant, le directeur juridique était une activité de support au business. Aujourd’hui, il est intégré au sein du comité exécutif. Un quart des DJ sont membres des comités exécutifs des sociétés cotées, alors qu’aux Etats-Unis, tous les « general counsels » sont membres du comité exécutif et rapportent automatiquement au CEO. Ils sont impliqués très en amont dans la stratégie de l’entreprise. »

Atouts du bilinguisme et du multiculturalisme
Le candidat type s’est aussi rajeuni. « Désormais, on remplace un directeur juridique qui part à la retraite par un quadra, homme ou femme, exposé à un environnement international, qui parle l’anglais et qui comprend les particularités du business dans lequel il évolue », note Emeric Lepoutre. Seules exceptions : la compliance et la gouvernance où l’expérience est plutôt un atout. « Depuis la crise et les scandales Enron et Siemens, les compliance officers et les secrétaires du conseil expérimentés ont le vent en poupe, et pour eux, l’âge n’est pas un sujet. »
A l’instar d’Airbus, AXA, Essilor ou encore Chanel, les groupes internationaux recherchent de plus en plus de directeurs juridiques non français qui ont fait une grande partie de leur carrière en France. « Ils présentent l’avantage d’être complètement bilingues et même multiculturels. Ils correspondent à la dimension globale de ces groupes », décrypte Caroline Oulié.
Les avocats, en revanche, même les plus doués dans leur secteur, ne peuvent pas prétendre d’emblée à cette fonction clef. « 10 % des directeurs juridiques du CAC 40 proviennent directement du barreau parisien ou anglo-saxon », indique Emeric Lepoutre, qui a souvent été missionné par des entreprises du CAC 40 pour dégoter leurs futures pépites. Car pour être parachuté à ce poste de direction, il faut avoir fait ses preuves dans l’entreprise, autrement dit su s’y adapter, donc« avoir exercé son métier entre sept et dix ans et travaillé environ cinq ans dans une direction juridique ».

Des prétentions à recadrer. Du côté du barreau d’affaires, le recrutement d’associés est un marché en mouvement. Selon le baromètre Day One des mouvements d’avocats associés, 2015 a enregistré 220 mouvements d’associés, soit une hausse de 5 % par rapport à 2014. Le recours à un chasseur est bien souvent indispensable. « Cela permet d’approcher des personnes très ciblées, qui ne sont pas en recherche active, et aussi de préserver la confidentialité de la démarche. C’est une vraie relation de confiance « intuitu personae » qui se crée entre le recruteur et le chasseur qui doit comprendre tous les détails du profil recherché et savoir promouvoir la marque du cabinet », témoigne Amélie Pironneau, directrice des ressources humaines chez Gide.
Le chasseur est aussi là pour orienter son client, voire recadrer ses prétentions. Passé l’étape du prérequis, à savoir l’expertise dans le domaine concerné, « un bon recrutement répond à trois objectifs : la vision commune du métier entre le candidat et le cabinet recruteur, les synergies possibles et les compatibilités humaines et culturelles », résume Anne Bassi, qui a fondé l’agence de conseil en communication et en ressources humaines Sachinka après avoir exercé pendant dix ans comme avocat fiscaliste. Il reste que, observe la consultante, « la demande est parfois irréaliste au regard du positionnement du cabinet, de son image et du marché. De nombreuses structures recherchent un associé qui réalise plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires, or leur demande n’est pas toujours cohérente au regard de leurs besoins et des équilibres financiers en place. Peu de candidats affichent un chiffre d’affaires totalement portable de plusieurs millions d’euros ».

Convoitées : les stars des M&A, de la fiscalité, du restructuring. Sur l’ensemble des cabinets concernés par des arrivées d’associés, soit la majorité des mouvements observés en 2015, 54 % ont recruté un seul associé, 28 % en ont recruté deux et 5 % en ont recruté trois, révèle le baromètre du cabinet de conseil en stratégie Day One. En outre, jamais autant de cabinets n’ont nommé d’associés par recrutement externe.« Beaucoup de recrutements correspondent à des remplacements », relève Anne Bassi. Ce qui n’est pas forcément synonyme de croissance. « Il arrive souvent que l’associé du cabinet « A » qui rejoint le cabinet « B » avec sa clientèle, voire son équipe, reparte quelques années plus tard avec ses mêmes clients et la même équipe. Ce sont des mouvements d’associés sans valeur ajoutée. » Autre constat peu encourageant : il n’y a eu « aucun développement de clients, ni nouveaux ni à partir des existants, et cela souvent faute de travail d’intégration du cabinet accueillant et de réflexion préalable sur les synergies possibles ». Les fusions-acquisitions ou le M&A coté, le contentieux pénal des affaires et le restructuring arrivent en tête des expertises les plus convoitées. « Depuis environ dix-huit mois, les cabinets recherchent de nouveau des stars en corporate – entendez fusions-acquisitions et droit boursier », observeEmeric Lepoutre. « Si l’on veut attirer des grands clients du CAC 40, il faut en effet avoir un grand nom du M&A coté. »Un gâteau que les cabinets d’affaires français doivent se partager avec leurs homologues anglo-saxons. Ces derniers« recrutent leurs associés dans les grands cabinets de la place, au point qu’aujourd’hui le marché français du droit des affaires est majoritairement détenu par les cabinets anglais et américains, en plus du leader français Gide », précise Emeric Lepoutre. Sans oublier Bredin Prat, Cleary Gottlieb et Darrois Villey Maillot Brochier. Les experts en fiscalité et en droit social, domaines gagnés par une immense complexité, sont aussi très recherchés. S’y ajoute le droit public des affaires,« en raison de la présence de l’Etat dans plusieurs secteurs du tissu économique français. Aujourd’hui, seulement six cabinets se partagent ce marché ».

Davantage d’associés non avocats. Autre type de recrutement, révélateur d’une nouvelle tendance : celui de profils non avocats. L’année 2015 a comptabilisé 18 associés de ce type, ce qui constitue un record depuis 2008. Parmi eux, 11 provenaient de l’entreprise ou de la banque, détaille l’étude de Day One. « Il m’est souvent arrivé d’aider des membres de l’administration fiscale à entrer en contact avec des cabinets d’avocats », témoigne l’ancienne avocate Anne Cécile Nègre, consultante en recrutement juridique au sein du Cabinet Lincoln. Celle-ci se met parfois aussi en quête d’ingénieurs. « L’objectif est d’accompagner certains départements de propriété intellectuelle qui font beaucoup de contentieux en matière de brevets, les ingénieurs ayant pour mission d’aider les avocats à décortiquer et ainsi mieux comprendre les aspects purement techniques des brevets. »